Y & A sont partis ce matin.
Les raccompagnant en bas de l’immeuble, le temps de la descente de l’escalier, je ne me sens pas très vaillante. Je les regarde descendre les marches, je vois les longues jambes allumettes de A, je vois la démarche légère et sautillante de Y. Doudoune et blouson sur le dos, petit sac à la main comprenant leurs quelques vêtements. Après un week-end en tee-shirt à profiter du soleil, ce lundi matin me semble gris soudainement.
Je sais peu de choses d’eux. Et j’en sais beaucoup. Je sais leur long périple à travers le Soudan, la Lybie, puis l’Italie et la France. Je sais qu’ils sont bloqués à Calais depuis 4 mois. Je sais que A souhaite reprendre son métier d’ébéniste et que Y veut apprendre les langues, l’anglais et le français et devenir coiffeuse. Hair dresser m’a-t-elle dit les yeux brillants. Je sais que le père de A est mort ; l’initiale de son nom et la sienne sont tatouées sur son bras. Je sais que Y aime tendrement deux de sa fratrie ; leurs initiales sont tatouées sur sa main. Je sais que leur peau et leurs cheveux sont secs et qu’ils se sont tartinés de karité (merci aux filles du réseau pour leurs bons conseils créme nivea !). Je sais qu’ils raffolent des épices (merci aux judicieux conseils du réseau, le pot de harissa a été vidé !). Je sais que Y aime la glace à la vanille et qu’elle fait du 34 (là j’avoue, je n’avais pas prévu ça !). Je sais que Y est coquette, simple, douce, souriante et qu’on voit ses petites dents briller quand elle rit. Je sais que A lui est plus réservé, par moment ses yeux s’assombrissent, l’inquiétude, la nostalgie. Je sais que je peux les faire bien rigoler en essayant de prononcer des mots imprononçables en tigrinya. Le grand jeu a donc été de dire et redire cinquante fois merci (nekanielé) en me trompant à chaque fois, rien que pour le plaisir de les voir s’esclaffer, pour m’entendre répondre en retour avec plaisir (gamzepki). Je sais qu’ils sont chrétiens orthodoxes et qu’ils vont à l’église à Calais. Orthodox/catholic same m’ont-ils dit. Je sais qu’ils adorent une série érythréenne tournée en Suède, éternelle série pour adolescents avec pour éternels thèmes amour et amitié. Je sais que A aime le café et que Y aime le thé. Je sais que Y fait la vaisselle très consciencieusement avec beaucoup de mousse et que A porte avec autorité les paquets et le panier. Je sais que tous deux mangent doucement et délicatement. Je sais qu’ils sont inquiets pour la suite de leur vie car ils souhaitent rester en France. A surtout car Y est une si jeune fille qu’elle sautille et sourit comme une jeune fille.
Je souhaite pour eux ardemment que d’autres visages et d’autres foyers accueillants feront suite à ce que j’ai pu leur proposer. Je sais que les visages de A & Y, leurs sourires, leurs rires seront présents en moi.
Tout ce qui s’est passé a été simple ; manger ensemble, pique-niquer avec des amis au parc ; ils ont pu se doucher longuement et dormir quand ils voulaient ; ils ont regardé des vidéos ; appelé leur famille. Voilà. C’est simple. Si simple.
Stéphanie
Migraction 